A l’entrée de l’hôpital Ard al-Insan, à Gaza, Iman Jilawi se plaint à Itimad Ghabil, directrice du programme.
Sa fille venait de sortir de l’hôpital après une opération de l’intestin, disait-elle, et elle n’avait pas assez d’argent pour payer le changement du pansement, sans parler du taxi pour rentrer à la maison. De plus elle était là pour une autre raison encore : sa fille, en plus d’être malade, souffrait de malnutrition très sévère. Et elle n’était pas la seule.
Une cacophonie de pleurs provenait de la salle d’attente voisine emplie de patients. Accompagnés de leurs mères épuisées, des dizaines de nourrissons attendaient que des infirmières et des nutritionnistes les examinent.
Il y avait là Mahmud Sukar, qui à 8 mois ne pesait que 4kilos 5 et dont la famille ne survivait que grâce à des bons d’alimentation des Nations-Unies qui ne devaient durer que quelques semaines.
Et Farah Khalifa qui à 18 mois pesait 6 kilos.
"Je ne sais pas quand j’ai mangé de la viande pour la dernière fois ", dit sa mère," Mon réfrigérateur est vide, ma fille survit en buvant mon lait".
Les problèmes auxquels sont confrontés les visiteurs de la clinique sont liés à un cercle vicieux de pauvreté et de chômage, ce qui rend le travail de Ghabil d’autant plus frustrant.
« Je ne sais pas quoi faire. Je ne peux pas les aider à chaque fois qu’ils viennent ici » dit Ghalib, « ils ont besoin d’une aide permanente ».
Détérioration de la nutrition
A l’été 2002 une étude majeure menée par Care International et l’Université John Hopkins, en coordination avec l’Université Al Qods à Jérusalem, a mis en évidence qu’il y avait un problème majeur en ce qui concerne tant la qualité de la nourriture consommée que le niveau inquiétant de malnutrition aiguë chez les enfants de la Bande de Gaza.
Les chiffres ont montré qu’un cinquième des enfants palestiniens souffraient de malnutrition -un taux quatre fois supérieur à celui d’une population nourrie normalement, d’après l’étude.
« En termes humanitaires c’est un pourcentage suffisamment élevé pour déclencher une intervention- et c’est ce qui a suscité l’intérêt des organisations d’aide » dit le coordinateur du projet, le docteur Gregg Greenough, de l’Université John Hopkins, dans une interview à AlJazeera.
La malnutrition chronique affaiblit le système immunitaire et affecte la capacité du corps à résister et à répondre aux infections et maladies infectieuses.
Ceci est particulièrement préoccupant dans des endroits où les populations sont déjà vulnérables, comme c’est le cas dans la Bande de gaza.
Le mois dernier Greenough est retourné à Gaza pour finir une étude de suivi, avec des résultats contrastés. Alors que la malnutrition à Gaza avait diminué, la prise quotidienne de macro et micro éléments nutritifs essentiels avait baissé de manière alarmante.
« Ceci est sans précédent. En réalité ce que nous voyons c’est que plus ils vieillissent, moins les enfants (palestiniens) reçoivent de calories par jour. (…) », dit-il.
La pauvreté
Greenough et ses collègues disent que la diminution de la qualité de la nourriture ingérée est directement liée à la pauvreté. « Le pain n’est pas cher, le thé n’est pas cher », dit-il. La malnutrition n’est pourtant pas évidente de prime abord chez ces enfants, car le corps arrive à s’auto-sustenter.
« On peut se nourrir d’aliments bourratifs comme le pain et préserver son poids et sa taille », dit-il. « Ce que va faire le corps c’est perdre du poids, pas tout de suite de la taille. Et avant de perdre du poids et de la taille, on accumule moins d’énergie. Il peut y avoir moins d’attention à l’école par exemple ».
Selon Ard al-Insan, la prévalence de la malnutrition est un dernier indicateur d’une crise, pour ces raisons là. En conséquence, une proportion significative des enfants palestiniens pourraient bien se trouver en danger de malnutrition.
Une aide ténue
Bien que l’étude ait indiqué des résultats prometteurs - elle a montré que les niveau aigus de malnutrition ont baissé de 13% dans la Bande de Gaza- Greenough ne s’en tient pas là.
L’assistance alimentaire est une mesure de secours temporaire, dit-il, et si on l’arrête des centaines de familles vulnérables se retrouveront dans le circuit de la malnutrition.
Avec l’augmentation régulière du chômage et la diminution spectaculaire des revenus pour ceux qui ont un emploi, Greenough a bien des raisons de s’inquiéter.
Selon des estimations, le chômage global dépasse 60% dans la Bande de Gaza tandis qu’environ 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec moins de 2$ par jour. De plus, les revenus mensuels moyens, pour ceux qui ont un emploi, ont diminué de 550$ avant la deuxième Intifada à 267$ pendant le premier trimestre de 2004, une chute de près de 52%, selon le Bureau Central des Statistiques Palestinien.
Il y a également plus de bouches à nourrir d’après la Banque Mondiale et les Nations-Unies. Alors qu’en 2000 un travailleur subvenait aux besoins de 4 personnes en Cisjordanie et de 6 à Gaza, la proportion est maintenant respectivement de 7 et 9.
Les perspectives
Tout ceci fait que la directrice exécutive de Ard al-Insan, Itidal al Khatib, est inquiète pour l’avenir.
Bien que la malnutrition soit peut-être un risque plus grand dans d’autres pays, à Gaza la situation est aggravée par l’occupation militaire et une économie moribonde avec le niveau de vie d’un pays développé.
« Avec la chute des revenus et la diminution de l’accès aux services publics, il ne serait pas surprenant que nous observions des signes de détérioration de la nutrition dans peu de temps », dit-elle.
Néanmoins la clinique continue son travail qui, selon al-Khatib, se focalise sur la sécurité alimentaire de la base au sommet. Des mères actives reçoivent une formation et un certificat à l’issue d’un cours de nutrition et vont ensuite former des groupes de soutien dans les quartiers avec d’autres femmes vulnérables.
" Les mères d’enfants mal nourris sont aussi mal nourries elles-mêmes et complètement épuisées . Cela affecte leur capacité mentale. La plupart des mères qui viennent ici souffrent de dépression, et leurs mécanismes de défense ne sont pas développés, ce qui affecte leurs relations avec leurs familles et leurs enfants . Nous essayons d’apporter du soutien psychologique à l’ensemble de la maisonnée afin que ce soit utile sans stigmatiser qui que ce soit."
L’obligation de faire face
Mais d’après des études récentes les familles palestiniennes ont du se résoudre à des mesures sévères pour assurer leur survie.
Les mécanismes pour faire face à la situation vont de l’absence de soin médical à la diminution des repas quotidiens.
La nouvelle étude de l’Université John Hopkins montre que 2/3 de la population ne paie pas ou moins ses dépenses de fonctionnement afin d’acheter de la nourriture. Plus de la moitié a arrêté d’acheter des vêtements et 20% n’achètent plus les médicaments pour traiter des maladies chroniques.
D’après le rapport annuel l’Ard al-Insan, 9% des familles de Gaza ne mangent qu’un repas par jour et 40% dépendent de l’argent prêté par des proches pour l’achat de leur nourriture. La consommation de produits laitiers a baissé de 80% à cause de l’augmentation du coût du lait.
Sur l’ensemble des familles palestiniennes, 46% reçoivent une assistance alimentaire par des agences. A Gaza le nombre monte à un taux impressionnant : 72%.
Greenough dit que la situation ne s’améliorera à long terme que si on a résolu la cause sous-jacente : la pauvreté. « Je suis allé dans des maisons et tout ce que j’y ai vu c’est du pain, de l’eau et du persil » dit-il. « Le problème n’est pas le manque de nourriture, il y a de la nourriture là-bas. Mais les gens n’ont pas les moyens de l’acheter, c’est très très triste ».